Comment un simple petit Virus invisible et microscopique disloque-t-il une société ??
Le Coronavirus et l'assaut contre les cadres sociaux de la mémoire collective...
Les villes, bombardées, en ruines, comme en 1914-18, les ponts détruits, les lignes de chemin de Fer sont coupées, les pistes des aéroports toutes défoncées de cavités et trous béants... par contraste, la ville réapparaît pour ce qu'elle devrait être en temps normal.
Liberté de circuler, de se déplacer, de se rencontrer et de se réunir ensemble par plus petits groupes, la Ville est mouvement multiple, continuelle transformation pluri-dimensionnelle, en volutes de métamorphoses graduelles incessantes, nœuds de réciprocité en vibration perpétuelle.
En cas de malheur, elle est exode, exil, refuge, fuite, évasion, et en cas de paix tranquille et de confortable sécurité, elle nous donne de pouvoir rejoindre ou inviter nos amis, nos proches, nos collègues ou partenaires, en affaire comme en amour.
La plupart de nos liens ne sont pas seulement physiques, par tous ces équipements, ponts, aqueducs, routiers, autoroutes et échangeurs, ronds points, pistes d'atterissage et d'envol... ou électroniques, mais ils sont surtout immatériels, ou métaphysiques, moraux et spirituels.
N'ayons pas peur des mots.
La marche à pied ou à cheval diminue avec les camions, autobus, et autos, qui se sont multipliés, jusqu'à transporter les troupeaux par la route.
Les transhumants transhument désormais par camion. C'est assez dire que les troupeaux ne traversent plus jamais les villages.
Finie l'odeur tenace des crottes de Bique qui se collaient sous nos semelles... le troupeau nous collait à la peau, ses parfums avaient imprégnés tous nos habits.
Avec ces autos, motos, camions, cars, fini les poules qui s'ébattent librement sur les chaussées !
Un simple virus peut affecter notre condition d'humains, si puissament que cela échappe à notre entendement. Car nous ne vivons que de nos seules perceptions, ce qui est à notre portée immédiate. Nous ne traitons que les aspects personnels individuels.
Nous laissons de côté l'essentiel, savoir les cadres collectifs constitutifs de notre véritable condition d'espèce, et ce sont eux qui se trouvent d'abord et principalement affectés.
Notre condition ? C'est de faire partie de groupes, de commuautés, de voisinages, d'entours (Jean Oury). Nous sommes des êtres grégaires (Elias Canetti, Masse et Puissance, Paris, Gallimard), et notre vie en dépend.
L'isolement peut donc nous affecter jusqu'à nous tuer, malades de la séparation.
Le confinement nous attaque donc au plus profond de notre vie psychique.
Le physique est au ralenti, les entretiens et fournitures indispensables sont assurés, au minimum pour que tous les équipements indispensables continuent de rendre leur service.
Dans cet épisode viral, il n'y a pas de destruction ni dégradation physique, mais bien morale et sociale, spirituelle (le moral est parfois en jeu).
Une assignation à résidence est plus souple et plus permissive que le confinement (rester chez soi) que nous nous imposons tous à nous-mêmes en ce moment.
Cette restriction nous fait bien voir que ce qui est détruit, indépendamment des victimes en nombre tragiquement important, ce sont tous les liens de la co-présence, de l'affection et de l'amitié, bref, toute la tendresse publique, le shake hands anglo-saxon, le serrement de mains en bon français. Le Proxémique (Edward Hall, La dimension cachée, Paris, Payot).
Finis les invités à table, les fêtes et anniversaires, les festivals et représentations, spectacles et cinémas. Tout passe désormais par la toile, le net.
Si le réseau connaît des défaillances il ne reste alors plus rien d'autre.
Restaurants, bars, bistrots et brasseries, cafés, Terrasses, tous sont fermés. Toutes les boutiques ou presque, bouclées.
Un minimum pour les approvisionnements de survie : quelques Boucheries, boulangeries, épiceries, restent ouvertes aussi. Marchands des quatre saisons, poissonneries, marchands d'Olives ou de Raisins secs, Dattes, Figues séchées ou fraîches... et les indispensables camions des transporteurs routiers...
Nous voyons là cet enchevêtrement indéfectible entre les liens physiques et non physiques, d'ordre moral, psychologiques, spirituels, métaphysiques, que j'ai essayé d'approcher ou de tenter de démêler en d'autres passages, compositions ou occurrences.
Le confinement au domicile fait réapparaître très clairement l'existence et l'importance, tellement importante que personne ne songe à la penser, de ces liens de relations doubles, mutuels, réciproques, en mouvement continuel, transformation, transgradation perpétuelle dont nos sociétés humaines sont constituées, par quoi elles se renouvellent en nos vies.
Nos sociétés, tellement technostructurées, suréquipées, sont réglées férocement par des disciplines de Fer. Le Nucléaire, les alimentations électriques ou pétrolières, tout ce que nous appelons les contraintes industrielles...
Lewis Mumford décrivait déjà en 1960-70 cette conurbation mondiale des tissus urbains continus que forment les métropoles ou mégalopoles (Le Mythe de la Machine, Paris, Fayard, 2 vol.). Mexico, Los Angeles, New-York, Miami, Vancouver... Beijing, Hong Kong, Shanghaï, Canton... Séoul, Tokyo...
Voir les images satellitaires en vue nocturne, avec un hémisphère Nord tout éclairé des lumières des villes (éclairage public surtout), et un hémisphère Sud en train de s'équiper aussi.
Donc, premier point, le confinement nous laisse à voir, nous révèle en quoi ces appareils industriels lourds corsettent nos sociétés, obligent toutes ces cultures néo-modernes à se plier à leurs diktats ou contraintes massives, inexorables.
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